L’exemplarité des dirigeant.e.s face aux nouveaux défis postpandémie

La notion d’exemplarité constitue une voie de réflexion extrêmement pertinente pour soutenir les dirigeants dans leurs responsabilités, face à ce contexte bien spécifique.   

Dès l’Antiquité, Socrate et Platon conceptualisent les fondements de la notion d’exemplarité, qui continuent d’alimenter la philosophie contemporaine. L’histoire nous montre que « c’est par son exemple que l’on rend quelqu’un vertueux, et non pas par des discours ou par un enseignement » (Dorion, 2022).

Être exemplaire dans un contexte organisationnel signifie également de rendre visible ses convictions, son éthique et de s’y tenir.

exemplarité

Qu’est-ce qu’être exemplaire ?

socrate exemplarite

Plusieurs philosophes nous indiquent qu’être exemplaire, c’est assumer ses convictions et ses idées. En effet, « ce n’est pas par son enseignement que Socrate a rendu ses compagnons meilleurs, mais l’éclat de son exemple leur faisait espérer qu’ils pouvaient à leur tour devenir meilleurs en l’imitant » (Dorion, 2022). Dit autrement, Socrate a rendu son entourage plus juste et meilleur, car il a servi d’exemple.

1. Rappel historique

Aristote reprendra cette idée et dira que pour être un bon citoyen, il faut être « en même temps un homme moralement excellent » (dans Helmer, 2017 : 107). Nietzsche de son côté parle de la « preuve par l’action » d’une vie philosophique (dans Helmer, 2017 : 164). C’est dans l’action et non dans les dires que l’on démontrerait notre sagesse.

Plus proche de nous, Sartre (1996 : 33) note qu’être un exemple c’est être responsable ; « je suis responsable pour moi-même et pour tous, et je crée une certaine image de l’homme que je choisis ». Foucault (2001 : 1531-1532) parle de son côté d’un idéal de conduite et d’un « souci de soi » dans la constitution morale du dirigeant.

Ainsi, ce bref survol de la philosophie permet de voir que l’exemplarité s’entrelace avec l’idée « d’agir comme il faut dans le monde et de se conduire comme il convient avec les autres » (Gros, 2002 : 234). Ce jugement sur la « bonne » action peut être compris comme ce qui a mené Socrate à avaler la ciguë : être exemplaire, c’est aller au bout de ses convictions. Celles-ci ne sont pas que personnelles : elles relèvent d’un souci éthique et d’un altruisme.

Être exemplaire, c’est donc agir « par rapport aux autres et pour les autres » (Foucault, 2001 : 1533-1534). Le sujet exemplaire tente de se dépasser et devenir un sujet moral à travers un ensemble de principes et de règles de conduite.

2. La notion d’exemplarité dans le management

Il est connu que les organisations ont besoin d’individus exemplaires pour diriger le changement par leur influence (Lainey, 2014 : 14). Ainsi, sous l’angle de l’organisation, être un dirigeant exemplaire, c’est avant tout d’assumer pleinement et entièrement ses responsabilités face au collectif, à l’entreprise et la société (Boffa-Comby, 2012 : 92).

Cela veut dire donner une vision à la communauté, rassembler et mener à bien la mission (Petriglieri, 2012). Ainsi, « le sens des responsabilités et la volonté sincère d’être exemplaire, c’est-à-dire de faire de son mieux pour mettre en cohérence ses dires et ses faires, son être » sont primordiaux pour les organisations contemporaines (Boffa-Comby, 2012 : 94).

Dire vrai, être authentique et faire vrai – la parrhèsia que les Grecs étudiaient déjà comme condition au vivre ensemble – sont des idéaux de conduite qui permettent de construire une culture de gestion menant à la performance.

3. L’angle de la recherche organisationnelle

La recherche organisationnelle a mis de l’avant les avantages de dirigeants exemplaires qui ont la capacité d’inspirer les autres et d’être visionnaires (Berson et al., 2016 : 172). Inspirer c’est motiver le collectif à l’atteinte des objectifs. Être visionnaire, c’est proposer des objectifs ambitieux, mais qui ne sont pas hors du champ des possibles (Berson et al., 2016 : 173).

Par exemple, en 1961, lorsque John F. Kennedy a propulsé l’aérospatiale avec l’objectif d’amener l’homme sur la lune d’ici moins de dix ans, il a proposé une vision inspirante, ambitieuse, mais réaliste.  Nous connaissons tous la fin de l’histoire : il a réussi son pari avec l’atterrissage d’Apollo 11 en 1969, ce qui montre l’importance d’une vision claire et partagée pour atteindre voire dépasser les attentes. Cet exemple indique aussi que derrière tout succès se cachent des idéaux de conduite – idéaux qui sont bien connus des théoriciens sur les organisations apprenantes et la créativité (Nonaka et Takeuchi, 1997 ; Saives et Ebrahimi, 2022).

Comment y parvenir ?

reflexion sur soi

1. L’importance de la réflexion sur soi

Devenir exemplaire nécessite de l’introspection, une prise de recul, une humilité et une posture d’apprentissage réceptive à la nouveauté, la surprise et l’inconnu (Block, 2014 : 302). Comme nous l’avons vu avec Foucault, cela demande une discipline de soi.

L’exemplarité est une « pratique réflexive » qui inclut « le souci de soi est éthique en lui-même » – bien se conduire requiert « que l’on s’occupe de soi, que l’on se soucie de soi » afin de « se connaître », « se former », « se surpasser soi-même » (Foucault, 2001 : 1531-1532). Comme le notent Saives et Ebrahimi (2022 : 51) : « il s’agit de remettre ses certitudes en cause de façon permanente dans le dialogue, dans le débat, avec autrui ».

Être exemplaire n’est donc pas un repli sur soi, bien au contraire. Être réflexif, n’est pas une « solitude », mais « une véritable pratique sociale » (Gros, 2002 : 234). C’est une posture d’apprentissage qui implique de comprendre nos relations avec autrui.

2. Ouverture, humilité, apprentissage

Être exemplaire, c’est aussi faire preuve de modestie épistémique. Ce concept est inspiré la pensée complexe et de John Stuart Mill et nous indique qu’il faut agir avec prudence, car nous n’avons jamais la totalité des informations sur une situation et nous avons nos préférences et nos biais qui orientent nos choix (Burdalski, 2023).

Cette prudence est d’ailleurs ressortie comme étant un élément important d’un leadership stratégique que Quong et Walker (2010 : 27) relèvent. Ils ajoutent que : « garder une certaine humilité et travailler respectueusement avec les autres » est un élément primordial des dirigeants qui arrivent à « faire la différence » dans leur organisation.

Il faut donc une posture d’apprentissage pour ne pas s’enfermer dans des schèmes de pensée et avoir une vision unilatérale de la réalité. Comme nous le disions en ouverture, le monde est en changement constant, traversé d’incertitude, de tensions, de visions contradictoires et d’émergence (Morin, 2005 ; 2011).

Un dirigeant responsable est donc celui qui arrive à naviguer entre des tensions : entre une posture d’expert et d’apprenant, le besoin de constance et celui d’adaptation, la nécessité d’avoir un plan défini et celle de parfois ne pas s’y tenir, etc. (Jordan et al., 2020). Le dirigeant exemplaire fait un retour constant sur ses gestes et son action pour faire mieux et maintenir son idéal de conduite.

3. Réflexion politique et bien plus

Ce travail demande une réflexion politique, éthique et sociétale de la part du dirigeant. Quelle personne aspire-t-il à être et pourquoi? Ces questions amènent une réflexion existentielle de longue haleine que l’on néglige souvent dans des organisations coincées dans une logique court-termiste. Cela demande aussi de réfléchir à nos relations avec les autres.

Blau (1964) a avancé une théorie de l’échange social où des liens mutuels vont se créer au cours des échanges, ce qui va renforcer nos sentiments (positifs) envers une personne. Brown et Treviño (2014) ont montré que les modèles sont importants pour amener plus d’éthique dans les organisations. Bref, c’est à travers nos échanges sociaux et la perception des autres que nous en venons à devenir un exemple.

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Si l’exemplarité se construit dans la relation entre individus, elle finit parfois par la dépasser : Frisch et Huppenbauer (2014) avancent ainsi que les modèles peuvent aussi être des personnalités publiques jamais rencontrées en personne. Par exemple, Gandhi est un des modèles de conduite qui ressortait souvent de leurs entrevues et il va sans dire qu’il a influencé un très grand nombre de personnes. Sans le connaître, on peut le voir comme un exemple guidant nos actions.

L’exemplarité finit par dépasser un cadre organisationnel : sans travailler chez Tesla, tout le monde connaît Elon Musk et l’image que l’on se fait de lui affecte beaucoup notre représentation de son organisation. En effet, nous construisons notre identité et nous nous situons dans la société en fonction d’exemples qui nous ont marqués et qui proviennent autant de l’enfance, de nos mentors, des dirigeants et des personnalités publiques qui nous inspirent (Burdalski, 2020).

Plusieurs chercheurs sur leadership et en psychologie sociale tels que Bandura (1977, 1986) abondent dans ce sens et indiquent que nous nous développons par l’influence de modèles.

Être exemplaire doit s’incarner dans un contexte

1. Bien identifier son contexte organisationnel

Or, dire comme nous venons de le faire que la relation d’exemplarité peut s’exprimer hors organisation ne revient pas à nier l’importance du contexte, bien au contraire. Arriver à être un exemple requiert de bien analyser son contexte organisationnel et de diriger à travers de nombreuses contraintes.

Ce contexte est à analyser selon plusieurs éléments : culture organisationnelle, intensité morale de la situation, et prédisposition du dirigeant à être affecté. Concernant la culture organisationnelle, elle est le « processus et le « résultat » d’interactions et de la « construction d’une atmosphère affective commune et d’un cadre cognitif partagé » (Aktouf, 1990).

Schein (2017) note que la culture organisationnelle est particulièrement importante et comprend autant les artefacts (les outils et les structures visibles), les croyances partagées (des règles explicites qui récompensent ou punissent certains comportements) et les suppositions de base (des valeurs et des postulats « tenus pour acquis » qu’il s’agit d’ailleurs d’expliciter quand on examine notre philosophie de gestion).

2. Enjeux réels et implication du dirigeant

De son côté, l’intensité morale peut être définie comme l’amplitude des conséquences et le niveau de consensus social entourant un problème (Jones, 1991). En effet, une situation qui comporte des enjeux moraux ou immoraux de grande ampleur peut favoriser ou défavoriser les actions des dirigeants.

Pour être exemplaire, le dirigeant doit donc comprendre la situation et voir quels sont ses leviers d’actions. Mais il doit avant tout posséder une prédisposition à comprendre la part morale de la situation. C’est le troisième élément contextuel : le dirigeant doit pouvoir être affecté par les situations qu’il rencontre.

Bonnes pratiques de gouvernance

La notion d’affect nous vient notamment de Spinoza (1954). Elle indique que toute chose, dont l’humain, est affectée par le monde qui l’entoure et l’affecte en retour dans une relation de réciprocité. Cette idée est importante, car « l’observation de la pratique montre que les directions ne peuvent parvenir à imposer des changements, au moins des changements durables, sans faire appel à l’acceptation des salariés, que celle-ci se crée dans les interactions et qu’elle ne peut être imposée » (Bernoux, 2002 : 94).

Penser à l’exemplarité, c’est un exercice constant et quotidien dans l’exercice de diriger. Il s’agit d’un travail sur soi-même, sur ses échanges avec les autres, car c’est travers leur regard que le dirigeant en vient à être un exemple.

Les questions à vous poser pour soutenir votre réflexion

Cela clôt notre tour d’horizon de la notion d’exemplarité. Nous avons vu que la notion renvoie à celles de responsabilité, parler vrai, de vision partagée et d’exercice de l’influence. Nous avons aussi vu qu’être exemplaire, un modèle, repose sur un certain idéal de conduite qui inclut l’ouverture, une posture d’apprentissage et une réflexivité.

Pour parvenir à cela, le travail sur soi est aussi important que le travail avec les autres. Enfin, nous avons éclairé quelques éléments du contexte et leur relation avec le dirigeant.

Plusieurs questions restent en suspens : Quelle est la relation entre exemplarité, considération envers les personnes et performance? Comment lier les approches de gouvernance les plus récentes (parties prenantes, responsabilité sociale de l’entreprise, critères EDI, etc.) à la notion d’exemple? Quelles sont les implications des différentes visions du leadership pour le dirigeant exemplaire? Ces questions sont importantes et demanderont des développements futur.

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